04 - Au nom de l'universel : crises et héritages - « Étonner et consoler le monde » : aux origines de l'impérialisme culturel
Antoine LiltiCollège de FranceHistoire des Lumières, XVIIIe-XXIe siècleAnnée 2024-202504 - Au nom de l'universel : crises et héritages - « Étonner et consoler le monde » : aux origines de l'impérialisme culturelIntervenant :Antoine LiltiProfesseur du Collège de FranceRésumé :Après un rapide retour sur l'expédition d'Égypte et sur la notion d'orientalisme, cette séance explore l'émergence de l'impérialisme culturel français sous Napoléon, en montrant comment les idéaux universalistes et civilisateurs des Lumières ont été transformés en un projet impérial visant à uniformiser l'Europe sous domination française. L'analyse s'appuie sur les travaux des historiens britanniques Stuart Woolf et Michael Broers ainsi que sur des recherches récentes consacrées aux confiscations (notamment le projet de réunir à Paris les « archives du monde »), à la centralisation administrative dans les territoires « réunis » (ou annexés) et aux politiques de francisation culturelle (par exemple à travers le théâtre).On revient sur l'expression « La Grande nation », qui a connu un succès important entre 1797 et 1800, popularisée par Bonaparte, dans un contexte d'enthousiasme patriotique et de transformation du discours sur la nation, celle-ci étant de plus en plus identifiée à son destin expansionniste au détriment de sa définition démocratique. « La grande nation est appelée à étonner et consoler le monde », affirmait Bonaparte, revendiquant la mission universelle de la France. L'Empire hérite ainsi d'un double héritage : celui des Lumières, autour de la notion de « civilisation », celui de la Révolution et de son projet émancipateur. L'un et l'autre sont toutefois vidés de leur lien à la liberté, mis au service d'un État centralisateur et de la gloire propre de l'Empereur.La politique d'uniformisation juridique, politique et culturelle a néanmoins suscité des résistances, non seulement dans les territoires conquis mais aussi en France. Une des critiques les plus fortes est venue de Benjamin Constant, qui dénonçait le culte de l'uniformité et plaidait pour le respect de la diversité, dans son pamphlet de 1814 De l'esprit de conquête et de l'usurpation. C'est un autre héritage des Lumières, libéral et cosmopolite, qui était ainsi mobilisé contre les dynamiques autoritaires et les tentations de l'impérialisme culturel.Références des œuvres citées dans le cours David Bell, La Première Guerre totale. 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